Depuis une vingtaine d’années, Lavie Tidhar écrit une œuvre originale qui lui a valu de très nombreux Prix, tant pour ses romans que pour ses nouvelles. Auteur de textes dans lesquels se mêlent passion pour l’Imaginaire et identité juive, Tidhar livre à ses lecteurs des histoires originales qui allient un sens omniprésent du merveilleux, fut-il scientifique, et une réflexion très pertinente sur la réalité contemporaine dans sa complexité. Fin connaisseur, d’ailleurs, de la production contemporaine, Tidhar est aussi éditeur et anthologiste SFFF.
Son roman Aucune terre n’est promise paru chez Mü et traduit par Julien Bétan reçoit aujourd’hui le Prix Planète-SF des Blogueurs 2021.
Aucune terre n’est promise est l’histoire de Lior Tirosh, un auteur de fantasy qui prend l’avion à Berlin afin de rentrer chez lui en Palestine. La Palestine uchronique de Tirosh est un Etat juif fondé au début du XXe siècle entre le Kenya et l’Ouganda (écho lointain d’une possibilité qui n’advint jamais). Mais on comprend vite, par les glissements qu’on perçoit comme des zones troubles au bord du champ de vision, que Tirosh est au cœur de questions qui le dépassent et que le monde d’Aucune terre n’est promise est bien plus qu’une simple uchronie.
Car dans ce pays-refuge fondé sur l’impulsion des Sionistes Territorialistes – ceux qui, dans notre monde, n’ont pas gagné – des forces sombres sont à l’œuvre. Celles, on pouvait le craindre, de l’impérialisme et de la spoliation qui, ici comme chez nous, engendrent injustices et drames, mais aussi celles, plus étonnantes, d’un nationalisme sans borne qui veut étendre Eretz Israël bien au-delà des simples frontières de la Palestine de Tirosh, dans tous les « lieux » d’un Multivers bien particulier qui est celui d’une protéiforme judéité.
Intelligent, fascinant, intrigant avant de devenir clair, Aucune terre n’est promise est un grand roman qui mérite amplement le Prix Planète-SF 2021.
D’une grande ambition politique, historique, humaine, Aucune terre n’est promise aborde avec une belle finesse les questions si importantes de la raison d’Etat, du colonialisme, de l’identité. Il exprime, mieux que bien d’autres, le dilemme éthique d’un peuple qui doit, pour avoir une terre, s’emparer de celle d’un autre peuple. Il raconte l’identité duale, déchirée, qui est celle des Juifs, ici et toujours comme dans le monde si particulier de Tirosh. Il fait tout cela avec un brio à travers une histoire qui happe le lecteur et ne le lâche plus jusqu’à ce qu’il ait enfin vu et compris tout ce qui se dissimulait au début.
« Imaginez que vous êtes une chose et, en même temps, quelque chose de complètement différent, les deux essayant de coexister. C’est cela, je pense, être Juif – être toujours une chose et une autre, ne jamais être tout à fait adapté. Nous sommes les grains de sable qui irritent la coquilles d’huître du monde »